J’Ai Peur (I Am Afraid) by Viany

J’ai Peur - Viany

Partout où le mensonge devient la seule façon de convaincre, il y a trafic .

Partout où il y a esclavage il y a trafic.

Ou il y a exploitation il y a trafic.

Ou il y a escroquerie  il y a trafic.

J'étais en première année BTS (Brevet de Technicien Supérieur) à l'université de Douala au Cameroun et ma famille m'a parlé du Liban. Elle aussi avait entendu parler du Liban de la voisine et la voisine avait entendu parler du Liban d'une femme qui avait été au Liban et qui est revenu au Cameroun.

(J'aime bien le fait que ça soit moi qui écrive ma propre histoire. Je suis fatigué des mensonges et des gens qui se disent bienveillants et capables de décider pour nous).

Après plusieurs tentatives de me convaincre j'ai accepté de voyager pour le Liban. Sans vraiment savoir ce qui m'attendait. 

Le gros argument qui m'abreuvait quand j'avais soif, me soutenait quand couchée au coin de la cuisine le bruit de la machine à laver du frigo et du four fusionnaient et m'empêchait de dormir. Je pensais à cette promesse. Cette promesse que m’avais faite cette femme, le premier maillon de la chaine, celle qui une foie de retour au Cameroun s’est convertie en trafiquante: "tu vas travailler pour 6 mois et avec ton salaire tu pourras dire à ta madame de faire tes papiers pour que tu ailles en France continuer tes études de couture".   Tout mon voyage prenait appui sur cette promesse la. J'avais pris avec moi tous mes diplômes et mes documents qui pouvaient être utiles pour une inscription. J'avais apporté avec moi mes plus belles créations de couture. J'avais apporté aussi mon matériel  pour éviter de dépenser trop en fournitures quand je devais reprendre les cours. 

Pendant mes 6 premiers mois de contrat j'étais comme dans un coma profond. J'étais concentrée sur le jour où je devais arriver à 6 mois. Je ne voyais rien et ne comprenais rien, je vivais dans le futur. Les maltraitances étaient sans effet. J'avais le corps et le cerveau sous anesthésie. 

Mes camarades à l'université au Cameroun et même les professeurs me demandais comment j’allais, mais j'étais concentré sur un objectif plus grand. Tout allait changer après 6 mois. 

Et oui… tout à changé après ces 6 mois. 

Je me souviens encore de comment ils étaient assis au salon tous les deux un vendredi à 17h00: “Mme, s'il vous plaît, j'ai déjà passé 6 mois chez vous est ce que vous pouvez utiliser mon salaire pour faire mes papiers et me faire voyager pour la France pour que j'aille continuer mes études?” Les regards se mélangent, un silence s'installe pour au moins une minute. 

De mon côté, c'était une évidence qu’elle devait dire oui. Je n'avais qu'à  prier pour que la procédure soit rapide.  

C'est là que ma Madame me demande "Qui t'as dit ça?".  “C'est la fille qui m'a fait venir au Liba[...]. A peine j'ai fini qu'elle m’interrompt. "Tu es venu ici travailler et tu n'as rien a faire a part travailler. Tu ne peux pas sortir sans mon accord. Tu es à moi et si je pouvais c'est moi qui devait aller en France mais pas toi. Ça fait longtemps que j'essaye. Et ça coûte trop cher.” 

J'avais 21 ans. 

Ce jour là je suis sorti du coma 

L'anesthésie était finie. 

Place à la réalité du système Kafala.

En toute sincérité même à un Libanais je ne le souhaite  pas. 

Le système Kafala c'est de l'esclavage et c'est de la traite d'être humain. 

C'est lourd à lire et à dire mais c'est vrai ça existe. Beaucoup s'enrichissent et ont une vie de rêve grâce à la souffrance des femmes comme moi. Mais je ne le souhaite à personne, même pas à une Libanaise. 

Si chaque victime mettait par écrit son expérience, tu pourras comprendre comment chaque vol qui se pose au sol dans un pays qui applique le système Kafala fait couler des larmes rouges à chaque fois. 

Nous sommes mortes tout en étant vivantes.

Tu le sais, et moi aussi tu ne fais rien et moi j'ai peur.

Viany De Marceau


ENGLISH TRANSLATION

I am afraid by Viany 

When lies are the only way to convince, there is trafficking. 

Where there is slavery, there is trafficking

Where there is exploitation, there is trafficking

Where there is fraud, there is trafficking. 

I was in my first year of my college degree at the University of Douala in Cameroon when my family spoke to me about Lebanon. They had also heard of Lebanon from the neighbour, and the neighbour had heard of it from a woman who had been there and came back to Cameroon. 

(I like the fact that it is me who gets to write my own story. I am tired of the lies, and of people who pretend to care yet decide for us). 

After several attempts to convince me, I accepted to travel to Lebanon. Without really knowing what awaited me.

The biggest argument which quenched my thirst, which gave me strength when I was lying down in the corner of the kitchen with the sound of the washing machine, fridge, and oven -  all together preventing me from falling asleep. I would think of the promise. The promise that this woman made to me, the first link in the chain, who after returning to Cameroon became a trafficker herself: “You will work for 6 months and with your salary you will be able to tell the Madame to do your papers and go to France to finish your studies in fashion design”. 

My entire trip was based on this promise. I had taken with me all my diplomas and relevant documents that could help with my registration. I had also brought with me all my most beautiful fashion designs and all the sewing material I would need to save some money when I start my course. 

During those first  6 months of my contract I was in a deep coma. I was focused on the day the 6 months would arrive. I didn’t see anything nor understood anything. I was living in the future. The abuse I faced didn't affect me. My body and mind were under anaesthesia. 

My university friends in Cameroon and even the professors were asking about me  but I was just focused on a bigger goal. Everything would change after 6 months. 

And yes... Everything did change after those 6 months. 

I still remember how they were seated in the living room, on a Friday at 5pm. “Madame, please, I already spent 6 months with you. Can you please use my salary to do my papers and pay for my trip to France so I can continue my studies?” 

Looks were exchanged, and a silence took place for at least one minute. 

For me, it was obvious she would say yes. I just had to keep praying for the process to be quick. 

This was when my Madame asked me “Who told you this?” “The girl who told me to come to Leba[...]I barely started my sentence, when she interrupted: “You came here to work, and you have nothing else to do but work. You cannot leave without my permission. You are mine. If I could, I would be the one to go to France, not you. I have been trying for a long time and it costs a lot of money”.

I was 21 years old. 

That day, I woke up from the coma. 

The anaesthesia wore off. 

The reality of the Kafala system took over.

In all honesty, I wouldn’t wish it on anyone, not even a Lebanese. 

The Kafala system is a form of slavery and human trafficking. 

It’s hard to read and to write, but it’s true, and it exists. Many profit from it and have a dream life thanks to the suffering of women like me. 

But I wouldn’t wish it on anyone, not even a Lebanese woman. 

If every victim could write about her experience, you could understand how each flight that lands in a country that uses the Kafala system causes many tears of blood, every single time. 

We are dead, whilst still alive. 

You know it, and me too,

You don’t do anything about it, 

And me, I am afraid. 

Viany De Marceau