En Mémoire des Noir.e.s du 4 Août / In Memory of the Black People of August 4th

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(English Version below)

Le long du port de Beyrouth, les immeubles sont immenses, à perte de vue.

Avec chacun des appartements multiples. Dans les ascenseurs, tu peux aller jusqu'au douzième étage.

Sans l’aide d’un guide, tu peux passer des heures à chercher l’appartement de la dame qui t’as demandé de venir chez elle pour nettoyer.

Du portail jusqu’à l’intérieur de la maison, les employées se succèdent. Nous sommes plus nombreuses que les habitants de l’immeuble, et constamment de nationalités diverses.

En fonction des postes, les couleurs de peau changent.

Tout est en verre, les appartements sont immenses.  Les pièces sont meublées de bois importé, le sol est toujours propre. Des marbres aux parquets en bois en passant par les vitres, ils y vont sans modération. Je me perds dans des couloirs de miroirs, dépourvus d’empreintes et de traces. On dirait des appartements inhabités.

Pour le nettoyage, il y a toujours une main qui passe et une autre qui repasse. Le long du port de Beyrouth, deux ménagères pour un appartement. Pour eux, c’est insignifiant. Plus tu as de ménagères, mieux tu es vu. Pour une famille de deux enfants, on peut avoir six employées. Aucun appartement ne compte moins de deux ménagères. Il y a deux Philippines pour la cuisine, deux Ghanéennes pour s’occuper des enfants, une Éthiopienne ou une Camerounaise pour le nettoyage. On ajoute à la liste le chauffeur et trois filles qui viennent deux fois par semaine pour le grand ménage.

Avec toutes ces Africaines dispersées partout dans ces appartements à se tuer à la tâche pour rendre fonctionnelles vos vies. Pourquoi ?

Pour vous permettre de vaquer librement à vos occupations ?

Pour vous permettre de respirer de l'air pur ?

Ou encore pour vous donner l’assurance de construire encore plus d'immeubles sans vous inquiéter du nettoyage ?

Juste pour votre luxe et votre satisfaction personnelle, vous avez infligé aux personnes noires au Liban et à nos mamans en Afrique, une peine que rien ne peut guérir.

Où sont les africaines mortes dans l’explosion du 4 août 2020 ?

Mon cœur est percé, mes yeux sont pleins de larmes. J’ai envie de crier, d’exploser, de pleurer.

Même mortes, pour vous, on ne compte pas. Après l’explosion du port de Beyrouth, ce 4 août 2020, ils ont retiré les corps, mais n’ont pas mentionné la présence des Noires, notre présence.

Pourquoi ?

Il fallait combien de Noires mortes pour en faire une ?

Il en fallait combien ?

Même mortes, ils ne nous considèrent pas comme des humains. Ils ont comptabilisé les chiens et les chats morts dans cette explosion du 4 août, mais pas les Noirs. Certainement le total ne suffisait pas pour valoir une vie libanaise.

Permettez-nous de pleurer nos sœurs et nos frères.

Rendez-nous les cadavres.

Donnez-nous les chiffres.

De quelles nationalités étaient-elles ?

Quels étaient leurs noms ?

Elles ne sont pas apparues au Liban. Encore moins dans ces immeubles, au contrôle plus strict que celui d’un aéroport.

Les mamans en Afrique multiplient les appels à l’aide, les avis de recherche. Certaines vivent dans l’espoir qu’un jour le téléphone sonne pour entendre la voix de leurs filles. Elles espèrent une surprise devant la porte. Une voix qui dira : ” maman, maman je suis enfin de retour ! Regarde, c'est ta fille qui était au Liban !”

Je suis fatiguée d’imaginer la souffrance de ma mère si cela avait été moi.

Mais ça ne vous dit rien. Mortes ou vivantes, pour vous les Camerounaises, les Congolaises, les Ghanéennes, les Ivoiriennes, les Béninoises, les Sierra-léonaises.  Tout ça ne compte pas ?

Dans nos pays, il y a des écoles libanaises et l'église de Saint-Charbel fréquentée par des libanais.es. Vous avez accès à vos passeports et la nationalité, des supermarchés et des maisons à vos noms. Mais chez vous, les noires n’existent même pas mortes. 

Je ne demande pas la pitié des libanais.es, ni de la société. Juste les cadavres pour permettre à nos mères de sécher leurs larmes.

Que leurs âmes reposent en paix.

Écrire par Viany de Marceau. Ex travailleuse domestique, styliste e modéliste, écrivaine et activiste féministe. Fondatrice de l'organisation REMAN






In Memory of the Black People of August 4th

Along the port of Beirut, the buildings are immense, stretching as far as the eye can see.

Each has multiple apartments. With the elevators, you can go up to the twelfth floor.

Without the help of a guide, you might spend hours searching for the apartment of the lady who asked you to come clean her house.

From the gate to the inside of the house, the employees come and go. We outnumber the residents of the building and are of diverse nationalities.

Depending on the jobs, the skin color changes.

Everything is glass, the apartments are immense. The rooms are furnished with imported wood, the floor is always clean. From marble to wooden parquets to windows, they go all out. I get lost in hallways of mirrors, devoid of fingerprints and traces. They look like uninhabited apartments.

For cleaning, there is always one hand that sweeps and another that irons.

Along the port of Beirut, two maids per apartment are not enough. For them, it is insignificant. The more maids you have, the better you are regarded.

No apartment has less than two maids. There are two Filipinas for the cooking, two Ghanaians to take care of the children, an Ethiopian or a Cameroonian for the cleaning. Add to the list the driver and three girls who come twice a week for a deep clean.

With all these Africans scattered across these apartments, working themselves to death to make your lives functional. Why?

To allow you to freely go about your activities?

To allow you to breathe fresh air?

Or to provide you with the assurance of building more buildings without worrying about cleaning?

Just for your luxury and personal satisfaction, you have inflicted on black people in Lebanon and our mothers in Africa, a pain that nothing can heal.

Where are the African women who died in the explosion of August 4th, 2020?

My heart is pierced, my eyes are full of tears. I want to scream, to explode with tears.

Even in death, for you, we do not count. After the explosion at the port of Beirut, on August 4th, 2020, they retrieved the bodies but did not mention the presence of the Black women, our presence.

Why?

How many Black women had to die to start the count?

How many did it take?

They counted the dogs and cats that died in this explosion on August 4th, but not the Black people. Certainly, the total was not worth a Lebanese life.

Allow us to mourn our sisters and brothers.

Return their corpses to us.

Give us the numbers.

What were their nationalities?

What were their names?

They did not just appear in Lebanon. Even less so in these buildings, with security stricter than an airport.

Mothers in Africa multiply their calls for help and missing persons notices. Some hope that one day the phone will ring to hear the voice of their daughter. They hope for a surprise at the door. A voice that will say, “Mom, Mom, I’m finally back! Look, it’s your daughter who was in Lebanon!”

I am tired of imagining my mother's suffering had it been me.

But that means nothing to you. Dead or alive, for you, the Cameroonians, the Congolese, the Ghanaians, the Ivorians, the Beninese, the Sierra Leoneans, do they matter?

In our countries, there are Lebanese schools and the Church of Saint Charbel attended by Lebanese people. You are entitled to your passports and nationality, to supermarkets, and houses in your names. But in your country, Black women do not even exist when dead.

I am not asking for the pity of the Lebanese, nor of society. Only the bodies to allow our mothers to dry their tears.

May their souls rest in peace.

Written by Viany De Marceau. Former Domestic Worker, Stylist and Fashion Designer, Feminist Writer and Activist and Founder of REMAN Organisation.